« Taktik Critik fait entrer le monde extérieur dans la classe! »

La vie de nos projets PECA Taktik Critik
10 juin 2023 · Laurent Ancion

Par Laurent ANCION

 

« Taktik Critik, ça nous sort du cadre scolaire et ça nous fait toucher un peu à tout », observe Aloïs. « J’ai trouvé ça chouette: c’est mieux que d’avoir cours! », ajoute Jérémy, déclenchant les rires dans le cercle formé par la 5e B de l’Athénée Paul Delvaux, option Maths fortes, à Ottignies. Une petite blague, qui confirme l’impression de légèreté face à un projet qui aura pourtant fait solidement bosser les élèves: en cinq mois, ils et elles se seront tour à tour mués en critiques de théâtre, en journalistes-interviewers, en plasticiens et en réalisateurs de capsules vidéo. « J’ai trouvé ça super cool de faire autant de trucs différents qu’on n’aurait jamais faits dans la vie! », commente Fanny. « On a vu un spectacle, travaillé avec une actrice, écrit une critique, interviewé le metteur en scène, testé des techniques d’arts plastiques et réalisé une petite capsule vidéo en animation,… Sans Taktik Critik, je ne vois pas comment on aurait eu le temps de faire tout ça à l’école ou chez nous. »

Un pont entre deux mondes

Lancé pour la première fois l’an dernier, Taktik Critik incarne la volonté d’ITHAC d’être un pont entre deux mondes: celui des artistes professionnels et celui de la jeunesse. Tout à la fois projet d’éducation aux médias, exercice d’écriture critique et exploration créative, le projet multiplie les angles d’approche autour d’un spectacle avec, à chaque étape, l’accompagnement d’un⋅e « pro » venu⋅e partager sa passion. « Avec Taktik Critik, le monde extérieur rentre en classe! C’est essentiel, car cela permet aux élèves de se frotter à des savoirs nouveaux et d’approfondir leurs connaissances de façon pratique », observe Natacha Georges, la professeure de français qui a joyeusement plongé avec sa classe dans l’aventure.

Rencontre avec le metteur en scène Emmanuel Dekoninck, en avril 2023: l’occasion de s’essayer à l’interview et à la réalisation.

Au cœur de ce tourbillon créatif, un spectacle donc : 84 minutes d’amour avant l’apocalypse, écrit, mis en scène et joué par Emmanuel Dekoninck, Anne-Pascale Clairembourg et Julie Duroisin. Une subtile histoire d’amour où se mêlent réalité et fiction, doublée d’une belle déclaration d’amour au théâtre. L’œuvre a bien accroché les élèves, suscitant des débats sincères sur ses différentes interprétations possibles. Comment rendre compte de ce qu’on a vécu face à un spectacle? Comment mettre des mots objectifs sur des sensations fatalement subjectives? Taktik Critik, c’est d’abord l’envie d’ »ouvrir l’œil » et de prendre confiance dans son analyse. Réalisée en compagnie d’un journaliste spécialisé (qui est aussi l’auteur de cet article!), la première étape du projet s’appuie sur la compréhension de ses ressentis, et sur le plaisir à trouver les mots pour les dire.

Dévoiler son univers intérieur

Une entrée en matière d’apparence littéraire et théorique, mais qui invite en fait les élèves à oser explorer la richesse de leurs univers intérieurs. C’est la clé pour les chapitres suivants, basés sur la création. Le groupe s’essaye à la scène en compagnie de Julie Duroisin, pour un instant solaire qui transforme le réfectoire en tremplin de l’imaginaire. Avec son art du collage intuitif et narratif, Giuseppe Lonobile permet aux élèves de recréer leurs propres affiches… soumises à Emmanuel Dekoninck, invité spécial de la classe. Au menu : une batterie de questions pour le metteur en scène-auteur-comédien et un reportage filmé, construit avec l’appui du réalisateur Gaëtan D’Agostino. « C’est intense! », sourit Emmanuel Dekoninck, tandis que les questions fusent, les oreilles s’affûtent et les téléphones filment sans perdre une miette de la rencontre.

Inspirés par les parapluies de « 84 minutes d’amour avant l’apocalypse », les élèves imaginent un théâtre d’ombre capté en cinéma d’animation.

Car l’envolée numérique restait à venir: pour le troisième et ultime volet de l’aventure, encadré par Gaëtan D’Agostino, tous les élèves sont invités à réaliser une capsule vidéo, en développant un travail autonome en groupes. Alfonso et Juyia, par exemple, ont traqué toutes les images alternatives de la rencontre avec Emmanuel Dekoninck, pour une sorte de making of parodique. « J’ai bien accroché! », s’amuse Alfonso. D’autres s’essayent au cinéma d’animation avec du papier découpé ou du théâtre d’ombre, en exploitant l’aspect délicieusement romanesque de 84 minutes d’amour avant l’apocalypse.

De la théorie à la pratique

« Taktik Critik, pour moi, c’est un projet complet« , se réjouit Andrada, après cinq mois d’exploration tous azimuts. « J’ai trouvé intéressant qu’on approche une même pièce de théâtre de façon aussi variée. Il y en avait pour tous les goûts. De l’écriture, de la création, des rencontres, de la théorie et de la pratique! » Pour Natacha Georges, leur professeure, c’est exactement le bénéfice de ce genre d’aventure. « L’école en général a tendance à se réfugier dans les matières scolaires – qui ont tout leur sens bien sûr. Mais elle aide peu les élèves à mettre en lien ces matières avec le réel », estime l’enseignante. « Ici, c’est exactement cet apprentissage qu’on a vécu: travailler en groupe, échanger, assumer son opinion, préparer une interview, créer ensemble,… Ce type de projet offre une ouverture qui vient renforcer les connaissances et surtout les mettre en pratique. J’ai vraiment observé que tous les élèves évoluaient favorablement. C’est le genre d’expérience qui les change. »

Et quid du programme, s’inquiéteront peut-être certains? Selon l’enseignante, l’aventure de Taktik Critik rejoint pleinement les très sérieux référentiels de compétences: « Je suis à fond dans mon travail de prof de français! », s’exclame Natacha Georges, qui détaille: « Produire une opinion à l’écrit (c’est l’unité d’enseignement 3) et à l’oral (unité 4), prolonger une œuvre (unité 5), rendre compte de sa rencontre avec une œuvre culturelle (unité 6),… » Le tout, estime-t-elle, de façon moins frontale que dans l’enseignement quotidien. « Le Pacte d’Excellence et le PECA invitent les enseignants à s’ouvrir à l’art », conclut l’enseignante. « Je ne suis pas journaliste culturelle, ni metteure en scène ni plasticienne: c’est génial que l’école s’ouvre vers l’extérieur, avec des professionnels qui permettent aux élèves d’être mieux formés sur ces matières-là. J’observe d’ailleurs que les Rhétos qui ont participé au projet l’an dernier ont une maturité et une capacité à travailler ensemble que n’ont pas toutes les classes. Je ne vois pas pourquoi l’école se priverait de ressources comme celle-là! »

Taktik Critik est un projet mené par ITHAC avec le soutien du PECA.

Auteur·ice : Laurent Ancion

Passionné d’art sous toutes ses formes et sous toutes ses coutures, Laurent Ancion a trouvé dans le champ de l’écriture journalistique l’endroit rêvé pour chercher, questionner, rencontrer, réfléchir, analyser et raconter les arts de la scène. Après quinze ans consacrés à la critique théâtrale quotidienne au journal Le Soir, il mène aujourd’hui sa recherche sur un format plus long: le livre de réflexion, dont il cherche avant tout à privilégier la forme joyeuse plutôt que l’assommoir. Laurent est également professeur aux conservatoires de Mons et de Bruxelles, et poursuit en parallèle ses aventures musicales au piano (album « Tout au bord »). Il est chargé de communication et de projets auprès d’ITHAC.

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