Le « Grand Lab’Mots », un tremplin d’écriture pour les ados

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28 octobre 2020 · Laurent Ancion

Par Laurent Ancion

 

Pour allumer un feu, il faut par exemple des allumettes – ou deux silex si vous préférez. Des outils pas bien grands, pas bien étonnants, mais qui peuvent changer bien des destins. En feuilletant joyeusement Le grand lab’mots de Céline De Bo, le lecteur comprendra vite qu’il tient en main un trésor du même ordre. En 144 pages, ce « manuel pratique pour expérimenter l’écriture théâtrale avec les ados » contient tout ce qu’il faut pour déclencher des torrents d’imaginaire et allumer bien des passions. Exercices pratiques, idées ludiques, commentaires complices: tout est là, à taille humaine et sans grandiloquence, pour déplacer les montagnes de l’ordinaire, à coups de petites enveloppes et de consignes irrésistibles!

Un livre ludique, aux racines puissantes. « L’écriture est un outil politique », commente Céline De Bo, qui en connaît le prix. Comédienne, autrice, animatrice d’ateliers d’écriture, coach d’impro, elle estime qu’elle doit énormément à la plume qu’on lui a tendue un jour. « J’ai moi-même découvert l’écriture à l’adolescence et, à peu de chose près, cela m’a sauvée, au cœur d’une enfance très difficile », confie-t-elle. L’écriture comme oxygène, comme planche(s) de salut: c’est la même perche qu’elle veut tendre aux ados, aujourd’hui.

Laurent Ancion – Pourquoi faire écrire du théâtre aux adolescents?

Céline De Bo. Photo : Olivier Charlet.

Céline De Bo – Tout simplement parce que c’est un outil formidable et que j’ai envie de le partager! Quand tu invites les adolescents à s’exprimer, que tu crées un cadre d’écoute, tu découvres que leur imagination n’a aucune limite. Au fil de mon travail d’animatrice, je me rends de plus en plus compte à quel point l’écriture est un outil politique de positionnement dans le monde. Les jeunes ont évidemment droit à la parole. Mais on ne leur donne guère. L’écriture théâtrale permet d’ouvrir une fenêtre supplémentaire. Le résultat est stupéfiant: quand les adultes lisent ou entendent les textes, ils sont étonnés par leur puissance. Inviter les jeunes à l’écriture, c’est donc aussi construire un pont entre eux et les adultes, qu’ils soient parents ou enseignants.

Et puis les faire écrire, c’est aussi un bénéfice… pour moi! Les jeunes sont incroyablement libres. Je m’abreuve à leur énergie. Au contraire de la plupart des adultes, ils ne sont pas encore fatigués. Ils n’ont pas encore renoncé. Cette attitude a quelque chose de l’utopie. Et elle est très loin de ce que la société leur demande habituellement: étudier ou consommer.

Le livre est hyper pratique, avec une foule d’exercices qui démontrent à la fois les vertus d’un cadre net et les limites infinies de l’imaginaire…
Je crois qu’avec les jeunes, le cadre et la liberté vont de pair. Je leur construis un cadre très solide, et je pense que cela les met en confiance. Mes exercices sont clairs, simples – je ne « m’excuse » jamais. E je leur demande toujours de faire l’exercice, même si ça ne les inspire pas a priori. Et dans ce cadre ferme, j’installe le plus de douceur possible. Je leur dis que je ne jugerai jamais leur écriture. Peu importe qu’ils écrivent une ligne ou tout un roman. L’important, c’est d’essayer chaque exercice, ensemble. Cela crée un cadre de confiance. Ils foncent!

Pour quels lecteurs as-tu conçu ce manuel?

Pour tout le monde! Au fil du temps, j’ai réalisé que très nombreuses personnes étaient tentées par l’écriture avec les adolescents, mais n’osaient pas toujours se lancer. Je reçois régulièrement des coups de fil de tous les horizons: des enseignants, des animateurs de maison de jeunes, des artistes, qui disent qu’ils ne sont ni auteurs ni même parfois grands lecteurs, et ne savent pas trop comment se lancer. J’ai eu envie d’écrire un manuel qui dédramatise un peu le bazar! C’est un livre qui cherche à ce que les animateurs ne se sentent pas seuls face aux difficultés.

Un manuel comme un lieu de connivence et de partage?

Bien sûr. Les enseignants ont la « salle des profs » où ils peuvent échanger. À l’école, les animateurs et les artistes sont parfois plus seuls. On est un peu comme des alchimistes, on fait de petites trouvailles chacun dans notre coin, mais il n’y a pas d’endroit pour partager nos découvertes. J’ai rêvé ce livre comme un endroit « d’échange de bons procédés »! J’estime que les bons trucs sont faits pour être partagés. On est là pour s’élever ensemble, on tisse des toiles d’araignées, on co-construit un filet pour les jeunes. Ce serait idiot de garder les choses pour soi tout seul.

Que réponds-tu au cliché qui estime que « les jeunes n’aiment pas le théâtre »?

Ils le disent parfois eux-même! « Oh mais Madame, moi, je n’aime pas le théâtre ». Franchement? Ça me fait marrer! Parce que je suis convaincue que ça vaut la peine d’essayer. Et c’est par cette conviction qu’ils sont accrochés! Quand j’ai rencontré Luc Dumont, un grand spécialiste du théâtre et des ados, dont l’interview figure dans le livre, il m’a expliqué son approche. Il dit aux jeunes: « Je sais faire quelque chose. Et je vous propose d’essayer de le faire aussi, avec moi. » Les jeunes ne sont pas contre – bien au contraire! Quand tu présentes un projet en étant sincère et authentique, ils le sentent et ils l’apprécient pleinement.

La question du « théâtre qui fait peur » recule au profit de « l’écriture qui réjouit »?

Exactement. Tu sais, même si c’est parfois épuisant comme job, l’animateur a le beau rôle, par rapport au cadre scolaire. Il n’y a pas de points qui viennent sanctionner l’activité. C’est le processus qui compte, plus que le résultat. On part du désir des jeunes. Ils sentent qu’on écoute leur avis, qu’on leur donne la parole. Et ils découvrent les copains autrement. Leurs idées sur le théâtre sont totalement rebattues.

Est-ce que tu as vu des jeunes se transformer au contact de l’écriture?

Je ne me sens pas du tout une sauveuse. Pour moi, l’écriture est un espace libre, pas une thérapie. Là où ça me touche, c’est quand je vois qu’ils se découvrent des capacités insoupçonnées. Leur regard sur eux-mêmes change, et c’est le plus important. Sur eux-mêmes, ou sur les autres. L’écriture en groupe par exemple permet d’avoir un tout autre regard sur quelqu’un qu’on croyait connaître. C’est aussi un pont entre eux. Nous sommes de toutes petites pierres à leur édifice. Et je ne me dis jamais que l’écriture, c’est mieux que le foot par exemple. C’est juste un espace qu’ils peuvent découvrir, s’ils le souhaitent. Un outil qu’ils auront toute leur vie à leur disposition, s’ils en ont besoin.

Le grand lab’mots. Manuel pratique pour expérimenter l’écriture théâtrale avec les ados, de Céline De Bo, coédité par ITHAC et le CED-WB, 144p., 18€.
Pour commander le livre ou pour tout renseignement, rendez-vous sur la page du Grand lab’mots.

Auteur·ice : Laurent Ancion

Passionné d’art sous toutes ses formes et sous toutes ses coutures, Laurent Ancion a trouvé dans le champ de l’écriture journalistique l’endroit rêvé pour chercher, questionner, rencontrer, réfléchir, analyser et raconter les arts de la scène. Après quinze ans consacrés à la critique théâtrale quotidienne au journal Le Soir, il mène aujourd’hui sa recherche sur un format plus long: le livre de réflexion, dont il cherche avant tout à privilégier la forme joyeuse plutôt que l’assommoir. Laurent est également professeur aux conservatoires de Mons et de Bruxelles, et poursuit en parallèle ses aventures musicales au piano (album « Tout au bord »). Il est chargé de communication et de projets auprès d’ITHAC.

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