Qu’est-ce qu’écrire pour la jeunesse?

La scène aux ados La vie de nos projets
12 septembre 2020 · Laurent Ancion

Certaines questions existent avant tout pour la joie d’être posées. Qu’est-ce qu’écrire pour la jeunesse? Il y a bien sûr mille et une réponses à cette interrogation – et ces réponses prennent souvent la forme de questions supplémentaires. Qu’en pensent Céline De Bo, Aliénor Debrocq, Stéphane Hervé, Céline Lefèbvre, Didier Poiteaux et François Salmon, en pleine écriture du 16e volume de La scène aux ados?

Par Laurent Ancion

 

Quand on écrit, doit-on être conditionné par ses futurs lecteurs? Tout sujet peut-il intéresser de jeunes oreilles? Questions superflues? Pas du tout. Mettez-vous un instant à la place, disons, d’un⋅e des 6 auteur⋅ice⋅s en intense résidence à la Marlagne, en ce début septembre 2020, pour le lancement de la phase d’écriture de La scène aux ados. Vous verrez vite combien ces questions vous taraudent autant qu’eux!

Comme son nom l’indique, La scène aux ados vise à l’écriture de textes qui permettront ensuite à des adolescents de se frotter au théâtre par la pratique. C’est la 9e fournée d’un projet qui a largement fait ses preuves – festivals hyper dynamiques, éditions chez Lansman et, surtout peut-être, un lien sans cesse réactivé entre jeunesse et théâtre professionnel. C’est bien ce lien qui met en ébullition la réflexion des 6 auteur⋅ice⋅s associé⋅e⋅s cette année, réuni⋅e⋅s pour une résidence à La Marlagne. Le but: mettre en commun les premières idées de leurs (futurs) textes et cogiter ensemble, sous la conduite de Vincent Romain et Régis Duqué.

De gauche à droite: Stéphane Hervé, Didier Poiteaux, Céline De Bo, Aliénor Debrocq, Céline Lefèbvre et François Salmon.

L’équipée est jolie, dans les grands couloirs de La Marlagne, et les mines très concentrées quand on les rencontre, chacun⋅e à leur tour, pour leur soumettre « la » question: est-ce qu’écrire pour être lu⋅e⋅s et joué⋅e⋅s par des adolescents conditionne leur imaginaire, un peu, passionnément, à la folie, pas du tout?

 

Céline De Bo

Photo: Olivier Charlet.

« J’anime beaucoup d’ateliers théâtre avec les adolescents et je dois dire l’essentiel: je rigole beaucoup! Je suis très touchée par eux. Et ce sont eux qui m’inspirent pour l’écriture. Tous les personnages de mes textes pour adolescents sont inspirés par des jeunes gens que j’ai vraiment observés. Quand j’écris, je les vois. Cet élan venu du réel nourrit mon écriture et mon plaisir. Je n’arrive pas à écrire sans lien. C’est pour cela aussi que j’aime tant le voyage: c’est aller à la rencontre des autres et de soi-même, pour ensuite y puiser l’encre de l’inspiration. Lors des ateliers, je n’observe pas consciemment les ados en me disant que cela servira l’écriture. Mais ils me touchent tant que j’en garde l’empreinte. Je les trouve incroyablement énergiques, plein de révoltes, de questions. Je me demande parfois où s’est envolée cette énergie, chez nous, les adultes. Nous sommes comme écrasés par quelque chose. J’ai envie de puiser dans cette vitalité, de la relayer, même si les adolescents sont assez forts pour s’exprimer – et écrire! – par eux-mêmes et n’ont nul besoin d’une ambassadrice. »

 

Didier Poiteaux

Didier Poiteaux.

« Est-ce qu’écrire pour les ados influence mon imaginaire? D’une certaine façon, la question est presque paradoxale. J’ai écrit et mis en scène deux textes théâtraux pour un public d’adolescents, et tous les deux abordaient justement des questions sociétales qui peuvent sembler loin d’eux a priori – la prison, puis l’alcoolisme. Tout indique qu’ils ont été puissamment touchés. Il ne s’agit pas de leur présenter des comédiens qui jouent les ados, c’est tout simplement moi, en scène, qui m’assume en tant qu’adulte, et leur partage un texte basé sur une recherche quasiment documentaire. Le paradoxe tient en ceci: les sujets estimés « adultes » font parfois de puissants sujets jeunesse… En même temps (et c’est une autre dimension du paradoxe), j’avais très fort en tête le public d’adolescents qui allait voir le spectacle, et j’ai fait certains choix, comme enlever des scènes qui me semblaient vraiment ne concerner que les adultes. Ici, comme les textes sont destinés à être joués par des ados, j’ai envie de me concentrer sur deux choses essentielles. D’abord, le plaisir de jeu. Je veux privilégier la joie ludique d’incarner des personnages, dans un monde où tout est possible. Ensuite, je veux livrer un matériau destiné à être recréé, mis à toutes les sauces, pas une pièce figée dans l’airain. La joie de la fiction. Ça me changera aussi! Le théâtre est un incroyable espace de liberté pour parler de ce qui nous emprisonne – encore un merveilleux paradoxe. »

 

Céline Lefèbvre

Céline Lefèbvre. Photo: Virginie Delattre.

« J’ai avant tout une grande envie de jouer avec ces ados qui sont face à moi. En tant que prof, je développe en permanence ce jeu avec eux. Je leur tends des perches ou des défis et j’aime voir comment ils réagissent. Je démarre l’écriture avec toute cette relation dynamique en tête! Je veux écrire sans préjugés, parce que leurs réactions sont toujours étonnantes. Sur certains sujets, qu’on penserait très éloignés d’eux, ils ont parfois un point de vue plus mûr que les adultes, une capacité très impressionnante de sagesse et de recul. Par exemple, en classe, le groupe est assez souvent confronté à la grossesse d’une élève – je dirais une à deux fois par an. Le soutien des autres jeunes est impressionnant, ils craignent pour elle, réagissent de façon très concentrée et consciente. En écrivant, je pense à cette maturité, souvent masquée par leur apparence de gamins. Il faut aller vers eux, vers ce qui les concerne, un peu, mais pas trop, sinon tu anticipes trop. J’ai envie de me positionner comme un être humain face à d’autres êtres humains, tout simplement. Et de créer suffisamment de ruptures dynamiques dans l’écriture pour laisser place à leur dynamisme – car ils en ont, très loin de l’aspect amorphe qui leur colle aux semelles! »

 

Stéphane Hervé

Stéphane Hervé.

« C’est la première fois que j’écris un texte spécifiquement pour les adolescents et j’entame l’écriture avec une foule de questions en tête. En tant qu’auteur adulte, comment être sûr que mes choix seront justes et permettront aux jeunes de s’identifier? Quels personnages choisir? Quelle langue utiliser? Une récente expérience me rassure un peu: j’ai écrit Has been, le monologue d’un gars qui se revoit quand il avait 15 ans, dans les années 80. Un texte que je destine a priori aux adultes. Il y a peu, je l’ai joué devant une salle d’ados et je dois bien dire qu’en y allant, je ne faisais pas le malin… Je me demandais vraiment comment ils allaient réagir. Je ne m’inquiétais pas vraiment de l’écriture – il y a un peu de verlan, et une langue assez directe – mais est-ce que le contexte allait leur parler? La réponse: oui! Et ouf. Ça les a fait marrer. Je crois que l’énergie des ados, je peux encore la comprendre. J’ai un peu l’impression d’en être resté un moi-même! Mais comment ne pas tomber dans un « faux parler » ado? Même si la sémantique et le langage restent la base de toute écriture, la vérité est ailleurs évidemment, dans le sujet et l’énergie que le texte propose. Je me réjouis d’explorer ces libertés nouvelles et le goût du jeu qui caractérise le projet. »

 

Aliénor Debrocq

Aliénor Debrocq.

« Un enfant n’est pas l’autre. Écrire pour les adolescents, c’est un travail d’équilibriste. Parfois, on évalue mal la pertinence d’un sujet, et cela me pose évidemment beaucoup de questions. Alors je teste! J’ai par exemple écrit pour de tout jeunes enfants… en me basant sur les miens. Je peux expérimenter mon écriture à la maison! Cette fois, j’ai choisi un sujet à la fois politique, historique et scientifique, et je me demande bien comment parler aux ados de choses si importantes, qui ont eu lieu il y a longtemps. Je me base sur l’histoire d’Henrietta Lacks, morte à 31 ans en 1951, d’une tumeur cancéreuse à développement très rapide. Ses cellules sont les premières à avoir pu être cultivées in vitro et ont été utilisées par les scientifiques du monde entier. Longtemps, la communauté a dissimulé qu’il s’agissait d’une afro-américaine. Comme s’il n’était pas acceptable qu’une femme noire ait permis plus de 70.000 études à travers la planète. Raconter son histoire, c’est aussi aborder le sujet du racisme. Je crois très fort à cette base d’écriture. Comment dynamiser cela? Est-ce que ça va emballer des jeunes de 15 ans? Le destin d’Henrietta Lacks permet d’aborder 100 ans d’histoire aux USA – elle était née en 1920. Je me réjouis d’aborder cela avec mes collègues! »

 

François Salmon

François Salmon.

« En théâtre, je n’ai écrit que pour des adolescents. Mes textes de fiction, comme les romans destinés aux adultes, ne font en effet pas appel à la même plume. Pourquoi? Je pense que c’est une question de visualisation: des ados, j’en vois une masse, tous les jours, en tant qu’enseignant et en tant qu’animateur d’un atelier théâtre! C’est comme ça que j’ai commencé à écrire: au départ, j’ai des gens devant moi, une trentaine, avec aussi une quinzaine de profs. Il était plus simple de me mettre à l’écriture que de trouver une pièce pour 45 personnages! Les 3 premiers textes que j’ai écrits pour La scène aux ados s’appuyaient tous sur un sujet qui me semblait pouvoir toucher les jeunes: la question de la « beauté  » dans une société mercantile, le harcèlement et les migrations. Je ne suis ni philosophe ni sociologue, je n’ai pas de crédibilité pour écrire sur une question sociétale: c’est bien sûr par l’invention de personnages que je suis passé. Et, à force de voir ces textes joués, dans des versions si différentes, j’ai pris goût à cet aspect ludique. Cette fois, c’est moins le « message » qui m’intéresse que la capacité du texte à rester ouvert, « jouant » et surprenant! Plutôt que de parler des drogues ou de la pilule, j’ai envie de penser au plaisir de jouer! Pour le grand plaisir aussi d’être surpris par l’incarnation, à la fin du processus! »

Envie de lire ou de commander le fruit de l’écriture de ces 6 auteur⋅ice⋅s? Il est à retrouver dans le 16e volume de La scène aux ados!

Auteur·ice : Laurent Ancion

Passionné d’art sous toutes ses formes et sous toutes ses coutures, Laurent Ancion a trouvé dans le champ de l’écriture journalistique l’endroit rêvé pour chercher, questionner, rencontrer, réfléchir, analyser et raconter les arts de la scène. Après quinze ans consacrés à la critique théâtrale quotidienne au journal Le Soir, il mène aujourd’hui sa recherche sur un format plus long: le livre de réflexion, dont il cherche avant tout à privilégier la forme joyeuse plutôt que l’assommoir. Laurent est également professeur aux conservatoires de Mons et de Bruxelles, et poursuit en parallèle ses aventures musicales au piano (album « Tout au bord »). Il est chargé de communication et de projets auprès d’ITHAC.

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