Cirque actuel: la belle poussée d’un grain de folie
Le cirque d’aujourd’hui ne tourne pas en rond. Curieux de toutes les autres formes d’arts – théâtre, danse, cinéma, arts plastiques –, il est l’une des disciplines scéniques les plus inventives des vingt dernières années. En complément de notre fiche pratique « À la découverte du cirque actuel », voici un petit plongeon dans le tourbillon du cirque contemporain!
Par Laurent Ancion
Où en est le cirque aujourd’hui? La question est passionnante. Mais elle équivaut à demander – par exemple – « Où en sont les chaussures aujourd’hui? ». La réponse est quasiment infinie, tant est vaste la variété des genres et des modèles! On peut dégager des tendances générales, mais on trouve de tout aujourd’hui: des créations griffées comme du prêt-à-porter, des grands classiques comme des nouveautés salvatrices.
Le cirque, longtemps assimilé aux animaux et aux paillettes, a entamé sa folle mue dans la foulée de Mai 68. En plus de populariser les sandales, ce tournant dans l’histoire de la pensée européenne a changé le rapport aux pistes. Ce ne serait plus la bête sauvage qui serait la vedette – tradition venue du « circus » romain et réactivée au XIXe siècle avec les voyages vers les colonies. À l’heure de la révolte, c’est l’homme qui allait reprendre la place centrale.
Fragilité de Plume et rock d’Archaos
Le « nouveau cirque » émerge en France au fil des années 70. Le Cirque Plume mêle poésie et théâtre, fragilité et émotion. Un peu plus tard, Pierrot Bidon allume la mèche d’Archaos, un cirque qui mélange liberté, insolence, rock et dérision pétaradante… Les motos entrent sur la piste. Les cadres du cirque explosent définitivement.
Le mouvement s’étend à l’Europe. Chez nous, Stanislas et son Cirque du Trottoir, créé en 1979, participe à la fondation du Cirque du Soleil, à Montréal – une méga-compagnie qui est donc un peu belge, comme on le savait déjà avec Franco Dragone. Des écoles supérieures de cirque ouvrent un peu partout: Montréal, Châlons-en-Champagne, Bruxelles… La formation des artistes sort du cadre familial et s’appuie sur l’idée que le cirque n’est pas seulement une performance, mais un art d’expression. Le cirque accède peu à peu à une reconnaissance et à un soutien de l’État (en 1999 pour la Fédération Wallonie-Bruxelles) – comme le théâtre ou la danse.
Le cirque a bien des choses à vous dire
Cette déferlante aura un effet démultiplicateur sur le nombre de compagnies et sur les langages: danse, cinéma, théâtre, arts plastiques et images numériques s’invitent au bal pour bâtir ce « cirque contemporain ». Même si la prise de risque reste importante, il s’agit moins d’y donner à voir des numéros incroyables, comme dans le cirque traditionnel, que d’exprimer une vision singulière, à travers un propos et une dramaturgie qui le rapprochent parfois de la narration. «Le cirque d’aujourd’hui est dans une recherche permanente », confirment Benoît Litt et Catherine Magis, directeurs de UP – Circus & Performing Arts à Bruxelles. « C’est un art très jeune et sa vitesse d’inventivité et de renouvellement est extrêmement rapide par rapport aux autres disciplines ».
La multiplicités des formes déployées vibre à un rythme passionnant. En Belgique par exemple, la poésie physique et sensible de Sinué (2013), mise en scène par le chorégraphe Mauro Pacagnella, explore librement un récit d’Anne Ducamp: la compagnie Feria Musica évoque l’histoire de Jules, un garçon curieux de grandir, mais troublé face à l’inconnu. Incarné par cinq acrobates, il apprivoise ses peurs au contact de son arbre fétiche. Narration? La troupe s’en défend, au profit d’un récit en émotion qui se comprend avec les yeux, le cœur et le corps. Sa volonté? Emmener le cirque ailleurs. Ailleurs, c’est-à-dire là où le spectateur ne l’attendra pas. Vers une zone trouble. Une sensation inconnue.
Avec De nos jours [Notes on the circus] (2011), le collectif français Ivan Mosjoukine joue à décortiquer 70 numéros de cirque, comme on retourne une veste pour en voir les coutures. Un exercice passionnant, qui prouve la maturité d’un langage prêt à s’interroger sur lui-même. Ce qui se raconte, c’est l’instant présent, sans fioriture. Lavé de toute paillette, le cirque révèle notre humanité.
Unis comme les 7 doigts de la main
De l’autre côté de l’Atlantique, le célébrissime Cirque du Soleil poursuit son aventure québécoise à la lisière entre recherches esthétiques et cirque traditionnel, caractérisé par une suite de numéros. Cette compagnie en a inspiré bien d’autres: portés par deux décennies de succès exponentiel, les Montréalais des Sept Doigts de la Main ont notamment présenté à Bruxelles Séquence 8, qui s’appuie sur la performance à taille humaine avec un haut degré de solidarité – les huit artistes de scène semblant appartenir à un seul corps.
Le cirque contemporain ne fait pas table rase du passé. Il l’interroge, le cite, le malaxe. C’est un de ses charmes indubitables. Ainsi, les Belges Xavier Bouvier et Benoît Devos, d’Okidok, rappellent que le cirque d’aujourd’hui est aussi nez (heu, né) avec les clowns. Et c’est vrai qu’on se marre bien face à leur bien nommé Ha ha ha. Mais le rire s’y fait aussi subtil, doux et étrange, face à un duo inspiré par la tradition des pays de l’est. Les couleurs vives cèdent le pas à des tons plus pastel, pour une grande finesse sous les nez rouges et les grandes bottines.
« On est dans un fabuleux moment pour les arts du cirque », soutiennent Benoît Litt et Catherine Magis. « Il y a vingt ans, l’explosion était déjà évidente. Et maintenant, c’est de plus en plus exploratoire, de plus en plus fou! Les jeunes sortent des écoles avec des univers déjà très forts. Et les aînés ont mûri ». Tout indique que, dans ce foisonnement des genres et des façons, vous devriez trouver chaussure à votre goût et prendre votre pied.
© Laurent Ancion – Cet article est diffusé dans un cadre pédagogique. Toute reproduction ou utilisation externe de ses éléments dans d’autres publications électroniques ou imprimées, ou sous tout autre forme, est interdite sans l’agrément de l’auteur.
Auteur·ice : Laurent Ancion
Passionné d’art sous toutes ses formes et sous toutes ses coutures, Laurent Ancion a trouvé dans le champ de l’écriture journalistique l’endroit rêvé pour chercher, questionner, rencontrer, réfléchir, analyser et raconter les arts de la scène. Après quinze ans consacrés à la critique théâtrale quotidienne au journal Le Soir, il mène aujourd’hui sa recherche sur un format plus long: le livre de réflexion, dont il cherche avant tout à privilégier la forme joyeuse plutôt que l’assommoir. Laurent est également professeur aux conservatoires de Mons et de Bruxelles, et poursuit en parallèle ses aventures musicales au piano (album « Tout au bord »). Il est chargé de communication et de projets auprès d’ITHAC.