Sophie Chiaramonte : une prof en mission et en passion

Quelle place peut prendre la pratique créative dans l’enseignement secondaire? Sophie Chiaramonte donne cours d’Arts d’expression en 5^e et 6^e à l’Athénée Royal de Mons. Elle nous explique la transformation de ses élèves, au fil des projets qu’elle mène régulièrement avec ITHAC. « L’équipe arrive à rendre possible l’accès à l’art et à l’expression grâce à l’outil théâtre », explique l’enseignante. « Une fois qu’on a découvert ce biais pour transmettre et pour enseigner, on ne peut plus s’en passer! » Une rencontre passionnée!

Par Gilles Bechet

« Quand j’étais plus jeune, le théâtre m’apparaissait comme quelque chose d’élitiste qui n’était absolument pas pour moi parce que j’étais trop timide, trop ceci ou trop cela… » On a du mal à croire que ces propos sont de la même Sophie Chiaramonte, professeure passionnée d’Arts d’expression à l’Athénée Royal de Mons, qui aujourd’hui ne compte pas son temps et son énergie pour amener ses élèves là où ils ne pensaient pas pouvoir aller. C’est aussi sans doute ce qui lui permet de se mettre à la place de ces jeunes qui abordent pour la première fois ses cours, rongés par les doutes et le manque de confiance en eux. « Ce qui est magnifique dans ITHAC et qui explique pourquoi je m’y suis tant investie, c’est que l’équipe arrive à rendre possible l’accès à l’art et à l’expression grâce à l’outil théâtre. »

Sophie a pris son temps pour toucher à l’expression artistique. Après ses humanités, elle s’oriente vers des études de philologie romane, éblouie par la facilité d’expression et la culture de certains de ses profs et passionnée par la littérature. Adolescente timide et taiseuse, elle s’essaye brièvement au théâtre mais la greffe n’a pas pris. Elle devient prof de français à plein temps. Au cours, elle aime questionner les textes, faire émerger le sens et l’expression qui se cache derrière certaines tournures. Après cinq ou six ans pour prendre ses marques, elle est happée par les projets d’ITHAC. « Une fois qu’on a découvert ce biais pour transmettre et pour enseigner, on ne peut plus s’en passer. Et ITHAC, ce n’est pas uniquement le jeu, c’est aussi l’écriture, l’écoute, la récolte de témoignages et même le cinéma, comme avec un court métrage librement inspiré de l’Odyssée. »

Pour Sophie Chiaramonte, c’est carrément devenu une mission. « Ça donne du sens à ma vie. Je pense que les élèves le sentent aussi. Je suis très altruiste de nature. Le partage, c’est ce qui me nourrit. Comme je n’ai pas oublié l’adolescente que j’étais, j’ai envie de dire aux ados qui sont devant moi: ‘Mais non les gars, vous aussi, vous êtes chacun et chacune un artiste. Et un artiste qu’est-ce que c’est, sinon quelqu’un qui s’exprime par l’art, peu importe la manière’. »

L’effet magique

L’objectif des cours d’Arts d’expression n’est évidemment pas de faire de ces élèves des comédiens professionnels, ni même de produire une pièce en fin d’année. La finalité est ailleurs. Certains élèves sont embarqués dans le projet dès la première minute, d’autres sont venus là par défaut, peut-être parce qu’il y avait de la lumière ou que cela semblait plus facile qu’une autre option. Tout l’art et la manière de Sophie, c’est de prendre les élèves comme ils sont, avec leurs envies comme avec leurs frustrations. « Ce sont des échanges dans des partages d’émotions riches parce que l’expression théâtrale, c’est exprimer des émotions par rapport à une situation donnée, qu’elle soit intime ou politique. À chaque fois, il y a cet effet un peu magique. Beaucoup me disent qu’ils en ressortent avec une sorte d’éveil. Et ça pour moi, c’est gagné. »

Sophie Chiaramonte n’a assurément pas de baguette magique, mais elle ouvre quelque chose d’encore plus précieux, une oreille bienveillante. « Il y a un lien de confiance qui s’installe. C’est la chose la plus belle qu’un ado puisse toucher. À chaque fois, je suis impressionnée par ce qu’ils arrivent à sortir de leur coquille ou de sous leur carapace. » En travaillant avec les jeunes, Sophie Chiaramonte constate le pouvoir de l’expression pour faire remonter des émotions mises sous cloche. « Aujourd’hui tout le monde a le sentiment de s’exprimer librement, alors que notre expression est souvent limitée à une parole bien-pensante sans place pour l’esprit critique. En travaillant le corps et la parole, l’élève va arriver à dégager le pourquoi de ce qui le bloque, le frustre. Il suffit parfois de trois mots pour créer un déclic. » Chez ces élèves qu’elle suit généralement pendant deux ans, une transformation s’opère. « Ils prennent en maturité et en confiance. Quand on présente le projet devant un public à la fin de la 2^e année, j’entends souvent des gens me dire qu’ils ne s’attendaient pas du tout à voir tel ou tel élève s’exprimer avec autant d’aisance. »

Bouffée d’adrénaline

Si elle a du mal à choisir un moment particulier dans le travail mené avec ses élèves, elle est toujours touchée par ce moment d’euphorie qui accompagne l’aboutissement d’un projet. « Ils se sentent libérés de tout le stress qu’ils ont emmagasiné. C’est un peu comme s’ils se sentaient les rois du monde. Il y a un truc chimique qui s’est libéré, une bouffée d’adrénaline que je compare avec ce que je peux ressentir sur scène avec mon groupe. » Car oui, quand madame la professeure n’est pas devant ses élèves en classe, elle est devant un public en laissant glisser les doigts sur le manche de sa basse. Sophie Chiaramonte, qui confesse avoir besoin d’une vie très chargée, est aussi la bassiste et compositrice du groupe Soror qu’elle a fondé avec son amie et complice Alice Ably. « Je suis venue à la musique par des chemins détournés parce qu’un jour j’ai reçu une basse en cadeau. Je me suis accrochée et maintenant je ne pourrais pas m’en passer. »

Que ce soit par la musique ou par le théâtre, on en revient toujours à l’idée de transmettre et de partager. Et ça laisse des traces. « La semaine passée, je croise deux anciennes élèves sur la place de Mons. Je connais encore leurs noms, même si j’en vois passer des dizaines par année. Je me souviens de ce qu’on a fait, des moments par lesquels nous sommes passés ensemble. C’est riche pour eux, comme c’est riche pour moi. »